Les tables rondes à la Marcel Khalifa

Pour tout écrivain qui me lit, il n’est jamais saint d’allumer une cigarette avant d’avoir commencé votre article ; texte ; chapitre ; etc. Vous sentirez les idées s’enfuir avec la fumée et s’envoler loin de votre prise, et n’importent les efforts que vous emploierez pour les attraper, vous ne réussirez pas. Laissez la cigarette hors de portée, au moins deux ou trois mètres loin de vous … vos jambes refuseront d’aller la chercher, croyez-moi. Dressez l’atmosphère, ce qui veut dire lumières éteintes, un morceau qui mérite d’être écouté, un balcon aux volets bien ouverts pour laisser la froideur nauséabonde d’El Jadida attaquer impitoyablement vos narines, dos dressé devant votre bureau et votre ordinateur allumé devant vous. Nous sommes prêts, je suis prêt. Je ne vous ai plus écris depuis plus d’une semaine, ce qui n’est pas trop grave puisque j’ai eu l’habitude de m’absenter pendant des périodes plus longues. Excusez-moi par contre, je travaillais sur un projet assez cher à mon cœur, j’écrivais le synopsis de ma vie. Et pourtant c’est bien le synopsis de ma vie qui nourris ce blog, c’est grâce à lui que j’arrive à vous pondre ces articles. Récemment, ce qui manque à ma vie sont les tables rondes familiales, et c’est pour cette même raison que j’ai attendu jusqu’à 23h avant d’écrire cet article, car ce fut habituellement le moment où commençaient les si fameuses tables rondes qui s’allongeaient jusqu’à tard dans la nuit.

Cela fait maintenant un mois que je vis seul, pour mes études rassurez-vous … mes parents ne m’ont toujours pas déshérité. Je m’y habitue petit à petit, ce qui veut dire des repas brûlés au moins une fois par jour, une chambre à coucher qui pue sans que je sache pourquoi, et les choses desquelles je dois me priver pour la simple raison « d’économiser ». Un tas de responsabilités, oui, le lycée ne nous a pas préparés pour ça. Au lycée on nous remplissait le crâne avec une tonne de séries de Maths et de Physique, mais on ne nous apprenait pas comment gérer notre vie, une vie déjà gâchée par un désordre inné. Mais ne nous étalons pas sur ce sujet-là, je fulmine toujours en y pensant. Ce n’est cependant pas cela qui m’agace, et ce n’est pas le manque de responsabilité qui me manque. Ce qui me manque ce sont les tables rondes familiales, comme je viens tout juste de le dire. Eid Al’Adha était il y a quelques semaines, et ce fut pour moi une chance de revivre ce moment glorieux de mon enfance. Nous sommes une famille à l’oreille musicale fine, nous partageons un penchant unique pour des morceaux et des artistes précis. Marcel Khalifa, Fairuz, Nass El Ghiwane et je passe. Ces morceaux-là ont toujours eu une certaine magie chez-moi, ce sont les musiques qui ont animées nos nuits et nos voyages en famille, ce sont les musiques autour desquelles nous partagions des rires sincères, et nous chantions ensemble jusqu’à s’en arracher les gorges. C’est un temps qui me manque, certes !

L’après-midi du Eid, après avoir égorgé la bête (végétariens et défendeurs des droits de l’animal, s’abstenir), nous nous étions assis autour d’une table. Ma mère nous préparait à manger (Boulfaf, l’amour de tous les marocains), mon père l’aidait, mon frère et ma sœur parlaient de je ne sais quel sujet farfelu de leurs sujets habituels, et j’étais, pour ma part, allongé sur le dos avec mon ordinateur entre les jambes. Sans nous prévenir (parce que oui, il DOIT nous prévenir), mon frère lance un morceau de Marcel Khalifa … et pas n’importe lequel, le morceau préféré de mon père et moi-même, le morceau légendaire, divin si je puis me permettre : Rita. Presque instantanément, les cinq âmes commencèrent à chanter derrière la voix majestueuse de Marcel. Pas seulement les paroles, mais chaque son, chaque instrument, chaque trait musical qu’avait la chanson. ‘Rita’ était parfaite pour ce genre d’occasions, elle me rappelait que je grandis, je grandis vite, mais cela ne veut point dire que les choses changent aussi rapidement que je le pense. Je peux toujours être le petit garçon de cinq ans qui avait l’habitude de chantonner avec son père en écoutant Nass El Ghiwane, celui-même dont les yeux s’humectaient en écoutant attentivement la voix de Fairuz à une époque révolue. Je me considère chanceux d’avoir grandi dans une atmosphère aussi émotionnellement musicale, cela m’a permis de comprendre que l’art s’apprécie à n’importe quel moment, à n’importe quelle étape de notre vie, et c’est pour cette même raison que les chansons de mon enfance accompagnent toujours mon quotidien, l’animent même.

Marcel Khalifa avait un jour dit : « Nos lendemains sont incertains. D'autres ont franchi la galaxie et nous sommes encore à scruter l'astre le plus proche. L'avenir est devenu un mot embarrassant. Nous vivons sous le joug de régimes qui n'ont jamais été capables d'assurer l'avenir des gens. Il n'est pas sage de parler d'avenir alors que nous vivons dans le passé. L'éducation, la santé et la culture sont devenues des projets commerciaux que les responsables veulent privatiser. Nous sommes privés du droit de recherche, de travail et de production. Nous ne sommes pas en contact avec le monde moderne. ». Je vous invite à méditer cette citation, car ce fut cette même citation qui m’a poussé à changer plusieurs de mes convictions, qui m’a poussé à penser. Les tables rondes me manquent, cela est dit. Maintenant, c’est devenu une seule chaise autour d’une table qui me semble gigantesque, cette nuit-ci je continuerai d’écouter Marcel tout seul. A bientôt !

(La cigarette, je l'ai allumée quelque part dans le troisième paragraphe. Je ne suis plus innocent !)

Comments

[Loubna]

Très bon article, que j'ai beaucoup adoré et qui m'a fait aussi songer aux moments chaleureux avec la famille et aux trucs de Marcel et Fairuz que j'aime énormément ... Merci pour ce moment de nostalgie et Bon courage !

[Mehdi Elz.]

Merci à toi pour ce commentaire :) Ca me fait chaud au coeur !